Le communiqué ci-dessus s’appuie sur un témoignage qui en reflète beaucoup d’autres. Nous souhaitons ainsi attirer l’attention des pouvoirs publics et des citoyens sur l’impact des mesures de confinement sur la santé des personnes désorientées et ce, afin de considérer la nécessité de prendre mieux en compte les besoins spécifiques des personnes désorientées et de ne pas les oublier dans les phases du déconfinement.
En Belgique, on compte plus de 200 000 personnes atteintes de maladies de type Alzheimer. Selon une enquête de l’AViQ de 2018, la proportion moyenne de personnes ayant des difficultés cognitives représente 42,7% des résidents en maison de repos en Wallonie. Ces personnes vieillissent neurologiquement d’autant plus vite qu’elles ne sont plus stimulées, rassurées dans leurs angoisses et entourées physiquement par l’affection des leurs. Sont-elles condamnées à la non-assistance pour les semaines, mois ou quelques années qu’il leur reste à vivre ?
Dès le début de l’épidémie, nos associations, les ASBL Alzheimer Belgique, Le Bien Vieillir et Senoah ont craint le confinement et ses effets délétères à court, moyen et long terme sur la santé mentale et physique des personnes âgées vivant en maison de repos et de soins (MRS) et en particulier de celles qui présentent des difficultés cognitives. Cette inquiétude est fondée sur les témoignages que nos associations recueillent quotidiennement et qui abondent en ce sens. Des proches inquiets, des résidents qui expriment leur solitude, des soignants désemparés, qui rapportent un sentiment d’abandon, de manque, de tristesse, de perte de repères.
La gestion de l’épidémie, et en particulier de la crise en maison de repos, est complexe. Et loin de nous l’idée qu’ « il n’y a qu’à » pour tout arranger. En revanche, nous souhaitons attirer l’attention des pouvoirs publics et des citoyens sur l’impact des mesures de confinement sur la santé des personnes désorientées et ce, afin d’anticiper de manière appropriée le déconfinement des établissements d’accueil et d’hébergement de personnes à besoins spécifiques. Pour ce faire, nous avons décidé de mettre en lumière le témoignage d’un proche d’une résidente en MRS, qui résume à lui seul les enjeux du déconfinement :
Mi-février, j’ai confié mon épouse à une maison de repos et de soins après l’avoir entourée de toute mon aide et de mon affection pendant plus de 5 ans. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, j’avais veillé à son confort, à sa sécurité, à sa stimulation physique, mentale et culturelle. Les voyages organisés lui plaisaient par l’encadrement et la stimulation ininterrompue de ces activités. Cependant, l’altération croissante de ses facultés intellectuelles lui causait de plus en plus d’angoisses et d’irritation face à ses limitations. Durant les derniers mois de notre vie commune, seuls les câlins l’apaisaient et lui rendaient la sérénité requise pour continuer à vivre le mieux possible.
Entretemps, elle s’intéressait de moins en moins aux séries et aux jeux télévisés, elle ne répondait plus que distraitement au téléphone et les rencontres virtuelles par WhatsApp et autres ne l’attiraient plus. Par contre, les balades à pied, dans le voisinage ou dans les forêts et bois avoisinants lui plaisaient et la stimulaient. Cette activité élémentaire faisait encore son bonheur.
La voilà donc confinée et condamnée à une vie sans contact, ni câlins ni promenades avec les siens ! Heureusement, le personnel du home veille au mieux sur mon épouse et sur les autres résidents, et plus encore en notre absence physique. Leurs gestes quotidiens sont autant de caresses, même distancielles, dont nos parents ont besoin. Ils méritent toute notre admiration et notre reconnaissance.
Aujourd’hui, les moyens de communication modernes la désorientent et les barrières physiques irritent mon épouse face à ses besoins de contacts physiques, de caresses, de câlins, de regards les yeux dans les yeux. Son visage reflète aujourd’hui l’incompréhension, l’irritation et la désespérance. Son goût de la vie, l’éclat de son rire et la chaleur de ses sourires s’éteignent progressivement.
Les malades du Covid-19 ont accès aux soins de la médecine, mais ces confinés n’ont pas droit à leur médecine : l’affection et la stimulation physique de leurs proches. Et leurs proches souffrent à leur tour de leur impuissance à les aider, à les aimer.
Tous ceux qui souffrent et se plaignent aujourd’hui auront gardé leurs capacités intellectuelles et sociales intactes. Après la crise, ils pourront se reconstruire plus ou moins rapidement et se relancer dans leurs activités familiales, professionnelles et sociales. Seuls ceux qui ne savent plus réagir ni se plaindre en sortiront encore plus affaiblis qu’avant.
Nos enfants, parents et grands-parents désorientés sont-ils condamnés à une longue agonie neurologique, loin des leurs … et sous les yeux des leurs ? Combien de victimes collatérales?
Il est temps que nos dirigeants prennent conscience du fait que nos anciens et toutes ces personnes plus faibles ont besoin de contacts humains, de stimulation régulière et variée, de soins affectueux et chaleureux. Ils en ont vitalement besoin … et nous, proches de ces personnes, aussi.
Quand pourrais-je encore me promener avec elle, main dans la main ?
Ce témoignage poignant, loin d’être isolé, montre que le choix des règles de déconfinement n’est pas anodin et que les gestes barrières, qui assurent une bonne santé physique, sont pour certaines personnes, des gestes qui accroissent de manière exponentielle l’anxiété et le mal-être psychique, au point d’atteindre gravement à la vitalité.
Or, on ne peut et on ne doit pas dissocier bien-être psychique et santé physique.
Lorsque la maladie empêche de comprendre le monde environnant, la relation à l’autre et à ses proches devient plus que jamais l’un des principaux facteurs de santé. Et quand les codes d’un échange derrière la vitre d’un écran ou d’une feuille de plexiglas deviennent de plus en plus incompréhensibles, alors il est vital de trouver des alternatives et des adaptations pour permettre à la relation d’exister. Le syndrome de glissement guette… Et son issue est rarement réjouissante.
Ainsi, nous prônons une réelle prise en compte des personnes désorientées dans la rédaction et l’énonciation des mesures de déconfinement, mesures qui devront permettre un contact social régulier, adapté aux capacités de ces personnes. Elles pourraient par exemple autoriser une levée mesurée et protégée de la distanciation sociale, pour permettre le toucher, les caresses, les étreintes qui rassurent et apaisent. La visite contribue au bien-être qui lui-même est un des déterminants de la santé.
Les réalités de terrain des institutions varient fortement et témoignent de la disparité du secteur, que la crise du Covid-19 a mis en lumière et exacerbé. Les institutions ont donc plus que jamais besoin d’être soutenues dans leurs démarches. Dans les semaines à venir, les MR et MRS devraient être systématiquement questionnées sur leurs besoins et des moyens devront leur être alloués afin que les visites soient facilitées, que les activités stimulantes en interne, tout aussi essentielles, reprennent et que les moyens de communication avec l’extérieur soient renforcés et diversifiés.
Le confinement, dont le but est de protéger la vie des plus fragiles d’entre nous a son grand paradoxe : certains, enfants, adolescents, personnes vieillissantes, personnes fragilisées psychiquement, socialement ou cognitivement sont autant de personnes pour lesquelles la désocialisation et un changement brutal des routines se révèlent, à moyen terme, délétères pour cette même santé que nous cherchons à protéger.
Certains ne disposent pas de ressources suffisantes pour se relever d’un déconfinement inadéquat : agissons et prenons des mesures spécifiques qui tiennent compte des besoins et des fragilités, pour que les personnes désorientées ne soient pas les vrais oubliées de la crise.
Aussi, nos trois associations se tiennent à la disposition des ministres compétents mais également du groupe d’experts en charge du déconfinement, afin que des recommandations claires et coordonnées, respectueuses des besoins spécifiques des personnes désorientées et des attentes légitimes des familles, puissent être prises le plus rapidement possible.
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